
La multiplication des actions en justice visant à harceler un adversaire ou à entraver le cours normal de la justice constitue un phénomène préoccupant dans notre système judiciaire. L’abus de procédures multiples se manifeste lorsqu’un justiciable initie de façon répétitive des instances judiciaires sans fondement légitime, dans le but de nuire à autrui ou d’obtenir un avantage indu. Cette pratique déloyale engendre non seulement une surcharge des tribunaux mais porte atteinte aux droits fondamentaux des parties visées. Face à cette problématique, le législateur et la jurisprudence ont développé diverses réponses juridiques pour sanctionner ces comportements abusifs tout en préservant le droit d’accès au juge. Examinons les contours de ce phénomène, ses implications et les mécanismes de régulation existants.
Définition et caractérisation de l’abus de procédures multiples
L’abus de procédures multiples représente une forme sophistiquée de détournement du système judiciaire. Il se distingue du simple exercice légitime des voies de recours par son caractère répétitif et son intention malveillante. La Cour de cassation a progressivement affiné les critères permettant de qualifier un tel abus. Dans un arrêt remarqué du 28 janvier 2015, la Haute juridiction a précisé que « constitue un abus du droit d’agir en justice le fait d’utiliser les voies de droit de manière répétitive dans l’intention de nuire à autrui ».
Pour caractériser l’abus, les magistrats s’attachent à identifier plusieurs éléments constitutifs. D’abord, la multiplication des procédures constitue l’élément matériel central. Un plaideur qui initie successivement plusieurs actions similaires contre le même adversaire, parfois devant des juridictions différentes, manifeste potentiellement un comportement abusif. Ensuite, l’absence de fondement juridique sérieux des demandes représente un indice déterminant. Les juges examinent la cohérence juridique des prétentions et leur vraisemblance.
Les critères jurisprudentiels de qualification
La jurisprudence a dégagé plusieurs indices permettant d’identifier l’abus de procédures multiples :
- La répétition d’actions identiques ou similaires précédemment rejetées
- La multiplication des voies procédurales sans justification légitime
- L’utilisation de moyens dilatoires systématiques
- La contradiction entre les positions juridiques successivement soutenues
- La disproportion manifeste entre l’intérêt allégué et les moyens déployés
L’intention de nuire constitue l’élément psychologique déterminant. Elle peut être caractérisée par la volonté d’épuiser financièrement son adversaire, de retarder l’exécution d’une décision défavorable, ou de porter atteinte à sa réputation. Dans un arrêt du 19 juillet 2018, la Cour d’appel de Paris a ainsi retenu l’abus dans une affaire où un justiciable avait initié quatorze procédures en cinq ans contre son ancien employeur, après avoir été débouté à plusieurs reprises sur des fondements identiques.
La qualification d’abus reste néanmoins délicate car elle implique de trouver un équilibre entre la sanction des comportements abusifs et la préservation du droit fondamental d’accès au juge, garanti tant par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme que par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les tribunaux doivent donc faire preuve de discernement pour ne pas décourager les actions légitimes tout en réprimant les abus manifestes.
Impact de l’abus procédural sur le système judiciaire et les parties
Les conséquences de l’abus de procédures multiples s’étendent bien au-delà des parties directement impliquées et affectent l’ensemble du système judiciaire. Pour les tribunaux, la multiplication des instances abusives entraîne un encombrement considérable des rôles. Selon les statistiques du Ministère de la Justice, environ 5% des affaires civiles présentent des caractéristiques de procédures potentiellement abusives, mobilisant de façon disproportionnée les ressources judiciaires. Cette surcharge contribue à l’allongement des délais de traitement pour l’ensemble des justiciables, compromettant ainsi l’efficacité globale de l’institution judiciaire.
Pour les magistrats, l’examen de procédures répétitives et infondées représente une charge de travail supplémentaire qui détourne leur attention d’affaires méritant un examen approfondi. Un rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature publié en 2020 souligne que le traitement des procédures manifestement abusives peut représenter jusqu’à 15% du temps de travail de certaines juridictions spécialisées, notamment en matière commerciale ou prud’homale.
Préjudices subis par les victimes d’abus procéduraux
Pour les parties visées par ces manœuvres, les conséquences sont particulièrement lourdes. Le premier préjudice est d’ordre financier : la nécessité de se défendre dans de multiples instances génère des frais d’avocats considérables, rarement couverts intégralement par les condamnations aux dépens ou les indemnités allouées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Une étude menée par la Chambre Nationale des Huissiers de Justice en 2019 révèle que les victimes d’abus procéduraux dépensent en moyenne 15 000 euros en frais de défense avant d’obtenir une reconnaissance judiciaire du caractère abusif des poursuites.
Au-delà de l’aspect financier, les victimes subissent un préjudice moral et psychologique significatif. La pression constante des procédures, l’incertitude juridique prolongée et le sentiment d’injustice provoquent un stress chronique. Dans le contexte professionnel, les entreprises ciblées par des procédures abusives peuvent voir leur réputation entachée, leurs relations commerciales perturbées, et leur développement entravé par la mobilisation de ressources pour gérer le contentieux plutôt que pour développer leur activité.
Le préjudice temporel constitue une autre dimension majeure. Les procédures judiciaires s’étendant souvent sur plusieurs années, les victimes se trouvent prisonnières d’un engrenage judiciaire qui peut paralyser leur existence personnelle ou professionnelle. Dans une décision remarquée du Tribunal de grande instance de Paris du 15 mars 2017, les juges ont reconnu l’existence d’un préjudice spécifique lié à « l’impossibilité de se projeter dans l’avenir du fait de l’acharnement procédural » dont était victime une société commerciale.
Enfin, l’abus de procédures multiples contribue à la défiance envers l’institution judiciaire. Les justiciables témoins ou victimes de ces pratiques peuvent développer une perception négative du système, considérant qu’il se laisse instrumentaliser par des plaideurs malveillants. Cette érosion de la confiance compromet la légitimité même de l’institution judiciaire, fondée sur sa capacité à rendre une justice équitable et efficace.
Les mécanismes juridiques de sanction de l’abus procédural
Face à la multiplication des abus procéduraux, le législateur et les juges ont progressivement élaboré un arsenal de sanctions permettant de dissuader et de punir ces comportements. L’amende civile pour recours abusif constitue l’une des premières réponses du système juridique. Prévue par l’article 32-1 du Code de procédure civile, elle permet au juge de condamner l’auteur d’une action jugée dilatoire ou abusive à une amende pouvant atteindre 10 000 euros. Cette sanction ne nécessite pas de demande préalable et peut être prononcée d’office par le tribunal.
Le montant relativement modeste de cette amende a longtemps limité son effet dissuasif, notamment face aux plaideurs disposant de ressources financières importantes. Conscient de cette limite, le législateur a substantiellement revalorisé ce plafond par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le faisant passer de 3 000 à 10 000 euros. Cette évolution témoigne d’une volonté politique de renforcer la lutte contre les comportements procéduraux abusifs.
Les dommages-intérêts pour procédure abusive
Complémentaire à l’amende civile, l’allocation de dommages-intérêts à la victime d’un abus procédural permet de réparer le préjudice subi. Fondée sur l’article 1240 du Code civil (anciennement article 1382), cette action en responsabilité délictuelle exige la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. La jurisprudence a progressivement précisé les contours de cette responsabilité spécifique.
Dans un arrêt de principe du 12 octobre 2016, la Cour de cassation a confirmé que « l’exercice d’une action en justice constitue par lui-même un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou, à tout le moins, de légèreté blâmable ». Cette formulation restrictive traduit la volonté des juges de préserver le droit d’agir en justice tout en sanctionnant les comportements manifestement abusifs.
Le montant des dommages-intérêts alloués tend à s’accroître ces dernières années, reflétant une prise de conscience accrue de la gravité des préjudices causés par l’abus procédural. Ainsi, dans un arrêt du 7 juin 2018, la Cour d’appel de Versailles a condamné un plaideur à verser 50 000 euros de dommages-intérêts à son adversaire, victime d’un « acharnement judiciaire » caractérisé par l’introduction de quinze procédures successives dépourvues de fondement sérieux.
Les sanctions disciplinaires contre les avocats complices
Les avocats qui se rendraient complices d’abus de procédures multiples s’exposent à des sanctions disciplinaires. L’article 183 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat prévoit que toute infraction aux règles professionnelles peut entraîner des poursuites disciplinaires. Le Conseil de l’Ordre peut prononcer diverses sanctions allant de l’avertissement à la radiation du barreau.
La jurisprudence disciplinaire sanctionne régulièrement les avocats qui participent sciemment à des stratégies d’acharnement judiciaire. Une décision du Conseil de discipline du barreau de Paris du 5 décembre 2019 a ainsi prononcé une suspension d’exercice de six mois contre un avocat ayant assisté son client dans une quinzaine de procédures manifestement infondées contre le même adversaire, estimant qu’il avait manqué à son devoir de modération et de conseil.
Ces différents mécanismes de sanction, bien qu’utiles, présentent toutefois des limites dans leur application pratique. La qualification d’abus reste soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, et la démonstration de l’intention malveillante peut s’avérer délicate. De plus, l’éclatement des procédures entre différentes juridictions complique parfois la vision d’ensemble nécessaire pour caractériser l’abus systémique.
Prévention et gestion des abus procéduraux : outils processuels innovants
Au-delà des sanctions a posteriori, le système judiciaire français a développé des mécanismes préventifs visant à identifier et à neutraliser les abus procéduraux avant qu’ils ne produisent tous leurs effets néfastes. L’une des innovations majeures réside dans le renforcement des pouvoirs du juge en matière de filtrage des demandes manifestement abusives. L’article 32-1 du Code de procédure civile autorise désormais le juge à déclarer d’office irrecevable une demande manifestement irrecevable ou mal fondée, sans même attendre la tenue d’une audience.
Cette procédure de filtrage préalable, inspirée du système de « leave to appeal » anglo-saxon, permet d’écarter rapidement les demandes fantaisistes ou purement dilatoires. Elle a été considérablement renforcée par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, qui généralise les possibilités de rejet par ordonnance des demandes manifestement irrecevables. Cette évolution traduit une volonté de responsabilisation accrue des plaideurs et de leurs conseils.
La centralisation du contentieux et le suivi des plaideurs abusifs
Face à la dispersion géographique et temporelle des procédures abusives, certaines juridictions ont mis en place des systèmes de centralisation du contentieux impliquant les mêmes parties. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a expérimenté depuis 2018 un dispositif d’alerte permettant d’identifier les plaideurs initiant de multiples procédures connexes devant différentes chambres. Cette centralisation facilite la détection des stratégies d’acharnement judiciaire et permet d’apporter une réponse coordonnée.
Parallèlement, certains tribunaux judiciaires ont institué des « listes de surveillance » recensant les justiciables ayant déjà été sanctionnés pour abus de procédure. Sans constituer une interdiction d’agir en justice, ce dispositif permet aux magistrats d’être alertés lorsqu’un plaideur connu pour ses comportements abusifs introduit une nouvelle instance. Cette vigilance accrue facilite l’identification précoce des tentatives de contournement des décisions antérieures.
L’instauration de la procédure participative par la loi du 22 décembre 2010 offre également un cadre propice à la prévention des abus. En encourageant les parties à collaborer en amont du procès pour définir ensemble les points de désaccord, cette procédure conventionnelle limite les possibilités de multiplication artificielle des contentieux. Le caractère contractuel de la démarche responsabilise les plaideurs et réduit les risques de stratégies dilatoires.
Vers une consécration du principe de concentration des moyens
La jurisprudence récente de la Cour de cassation tend à consacrer un principe de concentration des moyens, obligeant les plaideurs à présenter l’ensemble de leurs arguments dès la première instance. Dans un arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2006, la Haute juridiction a posé le principe selon lequel « il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».
Cette exigence de concentration procédurale, renforcée par plusieurs arrêts ultérieurs, constitue un frein puissant aux stratégies consistant à distiller progressivement ses arguments dans des procédures successives. Elle s’inscrit dans une conception renouvelée de la loyauté procédurale, imposant aux parties de jouer cartes sur table dès le début du litige.
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a conforté cette approche en généralisant l’exigence de tentative préalable de résolution amiable des différends. Cette obligation, désormais inscrite à l’article 4 du Code de procédure civile, contraint les justiciables à explorer les voies non contentieuses avant de saisir le juge, réduisant ainsi les risques d’instrumentalisation du système judiciaire.
Ces innovations processuelles dessinent progressivement les contours d’une justice plus réactive face aux comportements abusifs. Toutefois, leur efficacité demeure tributaire des moyens humains et techniques alloués aux juridictions pour mettre en œuvre ces dispositifs de prévention et de détection.
Perspectives d’évolution : vers un encadrement renforcé des recours abusifs
L’avenir de la lutte contre l’abus de procédures multiples s’inscrit dans une dynamique d’innovation juridique et technologique. Plusieurs pistes de réforme émergent actuellement dans le débat juridique français et européen. La première orientation concerne le renforcement des sanctions financières contre les plaideurs abusifs. Un rapport parlementaire de 2021 préconise ainsi d’augmenter significativement le plafond de l’amende civile pour recours abusif, suggérant de le porter à 50 000 euros pour les personnes physiques et 250 000 euros pour les personnes morales.
Cette proposition s’inspire notamment du modèle britannique des « wasted costs orders » qui permet aux juges d’imposer des sanctions financières dissuasives aux plaideurs multipliant les procédures abusives. L’objectif est d’établir un véritable équilibre entre le coût de la stratégie d’acharnement judiciaire et les bénéfices espérés, rendant ainsi économiquement irrationnelle l’option de l’abus procédural.
L’apport des nouvelles technologies dans la détection des abus
L’exploitation des technologies d’intelligence artificielle offre des perspectives prometteuses pour la détection précoce des schémas d’abus procéduraux. Plusieurs cours d’appel expérimentent actuellement des algorithmes capables d’analyser les bases de données juridictionnelles pour identifier les configurations suspectes : multiplication d’actions similaires, recours systématiques aux mêmes arguments juridiques déjà rejetés, ou stratégies de contournement des décisions antérieures.
Ces outils d’aide à la décision, encore en phase de développement, pourraient considérablement renforcer la capacité du système judiciaire à détecter les abus systémiques qui, pris isolément, pourraient paraître anodins. Le projet Predictice, soutenu par le Ministère de la Justice, intègre désormais un module spécifique d’alerte sur les risques de procédures abusives, permettant aux magistrats d’avoir une vision consolidée de l’historique contentieux des parties.
Au niveau européen, le Conseil de l’Europe travaille actuellement à l’élaboration de lignes directrices sur la prévention de l’abus de procédures multiples. Un groupe d’experts mandaté par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a proposé en 2022 un cadre harmonisé permettant de mieux identifier et sanctionner ces pratiques à l’échelle du continent, tout en préservant les garanties fondamentales du procès équitable.
Vers une action collective en défense contre l’abus procédural
Une proposition innovante consisterait à créer une forme d’action collective en défense permettant à plusieurs victimes du même plaideur abusif de mutualiser leurs moyens pour faire reconnaître le caractère systémique de l’abus. Ce mécanisme, inspiré des class actions américaines mais inversé dans sa logique, permettrait de rééquilibrer le rapport de force entre le harceleur judiciaire et ses multiples cibles.
Plusieurs associations de défense des victimes d’abus procéduraux militent pour cette évolution législative, qui nécessiterait toutefois une adaptation substantielle des règles de procédure civile. Un projet de loi en ce sens a été évoqué lors des travaux préparatoires à la loi de programmation pour la justice 2023-2027, sans toutefois aboutir à ce stade.
La question de la responsabilité des auxiliaires de justice fait également l’objet d’une attention renouvelée. Une proposition formulée par le Conseil National des Barreaux envisage de renforcer l’obligation déontologique des avocats de dissuader leurs clients de s’engager dans des stratégies d’acharnement procédural. Cette évolution s’accompagnerait d’un mécanisme de signalement permettant aux bâtonniers d’intervenir de façon préventive lorsqu’un risque d’abus est identifié.
Ces différentes pistes de réforme traduisent une prise de conscience accrue de la nécessité d’apporter une réponse systémique à un phénomène qui affecte l’ensemble de l’institution judiciaire. Le défi consiste à trouver un équilibre entre la répression des abus manifestes et la préservation du droit fondamental d’accès au juge, pilier de l’État de droit.
Vers un nouvel équilibre entre droit d’agir et devoir de loyauté procédurale
La problématique de l’abus de procédures multiples nous invite à repenser fondamentalement l’équilibre entre liberté d’action judiciaire et responsabilité procédurale. Le droit d’accès au juge, consacré tant par notre bloc de constitutionnalité que par les conventions internationales, demeure un pilier incontournable de notre système juridique. Toutefois, comme tout droit fondamental, il ne saurait être absolu ni exercé au mépris des droits d’autrui.
L’évolution récente de la jurisprudence et de la législation dessine progressivement les contours d’un véritable devoir de loyauté procédurale s’imposant à tous les acteurs du procès. Ce principe, d’abord développé par la doctrine puis consacré par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts depuis 2006, irrigue désormais l’ensemble du contentieux civil et administratif. Il implique pour les plaideurs une obligation de cohérence, de sincérité et de modération dans l’usage des voies procédurales.
La nécessaire responsabilisation de tous les acteurs judiciaires
La lutte efficace contre l’abus de procédures multiples nécessite une mobilisation coordonnée de l’ensemble des acteurs du système judiciaire. Les magistrats ont un rôle central à jouer dans la détection précoce et la sanction des comportements abusifs. La formation continue des juges intègre désormais des modules spécifiques sur l’identification des stratégies d’acharnement procédural et les réponses juridiques appropriées.
Les avocats constituent également un maillon essentiel dans la prévention des abus. Leur devoir de conseil implique de dissuader leurs clients de s’engager dans des procédures manifestement vouées à l’échec ou motivées par une intention malveillante. Le renforcement des règles déontologiques en la matière pourrait contribuer à tarir la source de nombreux abus procéduraux.
Quant aux justiciables eux-mêmes, ils doivent prendre conscience que le recours au juge constitue un droit précieux mais limité par l’exigence de bonne foi. La sensibilisation du grand public aux conséquences de l’abus procédural et aux sanctions encourues pourrait contribuer à prévenir certains comportements inappropriés.
Les expériences étrangères offrent d’utiles pistes de réflexion. Le système juridique québécois a ainsi développé la notion de « quérulence processive » pour désigner le comportement pathologique de certains plaideurs compulsifs. Des protocoles spécifiques permettent d’identifier ces profils particuliers et de leur proposer un accompagnement adapté, alliant sanction judiciaire et prise en charge psychologique.
En définitive, la réponse à l’abus de procédures multiples ne peut se limiter à une approche purement répressive. Elle doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur la place du contentieux dans notre société et sur les moyens de promouvoir des modes alternatifs de résolution des conflits. Le développement de la médiation, de la conciliation et des procédures participatives offre des voies prometteuses pour désamorcer en amont les situations susceptibles de dégénérer en harcèlement judiciaire.
La justice du XXIe siècle doit ainsi relever un double défi : garantir à chacun un accès effectif au juge tout en protégeant l’institution judiciaire contre les détournements qui menacent son fonctionnement et sa légitimité. C’est à cette condition que le droit d’agir en justice conservera sa place éminente parmi les garanties fondamentales de notre État de droit.